ACOM 1st Meeting
A paru dans La Presse
Le lundi 04 octobre 2004
Photo Denis Courville, La Presse
Montréal et son ciel, la nuit.
Pollution lumineuse
Les étoiles en voie de disparition
Jean-Philippe Fortin
collaboration spéciale, La Presse
«J'habite la Rive-Sud, explique au téléphone
l'astronome Pierre Bastien, directeur de
l'Observatoire du mont Mégantic (OMM). Au milieu
des années 80, au sud de l'autoroute 30, je pouvais
voir très bien le ciel avec une simple paire de
jumelles. J'y suis retourné, et ce n'est plus
possible. Par expérience, ça s'est probablement
dégradé de moitié. »
Dans le Nord, à Saint-Faustin, Rémi Lacasse, président
de la Fédération des astronomes amateurs du Québec
(FAAQ) corrobore les observations empiriques de son
collègue. « À Montréal, on ne voit plus que 50 à 100
étoiles alors qu'on devrait en voir 3000 ou 4000.
Il est impossible en région métropolitaine d'avoir un beau
ciel. »
La pollution lumineuse, déplorent-ils en choeur, fait
sérieusement pâlir les étoiles. Si rien n'est fait, même la
mission de l'OMM est compromise. Depuis 1978, la
qualité du ciel, mesurée scientifiquement cette fois, s'y
est dégradée de 50 %.
Des réverbères aux panneaux publicitaires, tout ce que
l'homme a inventé pour repousser les ténèbres est
responsable de ce phénomène. Si on n'y met pas un
frein, il ne reste pas 10 ans à l'OMM. « Une partie de cet
éclairage est dirigé vers le ciel et est diffusé dans toutes
les directions parce que réfléchi par des particules, des
poussières, explique Pierre Bastien, de sorte qu'on ne
voit plus rien avec un télescope d'un demi-mètre, ce
n'est pas peu dire. »
Au triste palmarès de la pollution lumineuse, le Québec
s'illustre. « En 1997, Montréal envoyait autant de lumière
vers le ciel que la ville de New York! » lit-on sur le site
Internet du Groupe de recherche en astrophysique de
l'Université Laval. Et Québec surpasse Boston et même la
Ville lumière, Paris! Réflexion de la lumière sur la neige
mise à part, le Québec est de deux à trois fois plus
lumineux que l'Europe ou les États-Unis, y apprend-on
encore.
Rémi Lacasse attribue cela en partie au faible coût de
l'électricité chez nous.
Des sommes astronomiques
Le comité Ciel noir de la Fédération des astronomes
planche sur une campagne de sensibilisation. Son
argument massue: celui des sous. Et c'est le cas de le
dire, on parle de sommes astronomiques.
En effet, en matière d'efficacité énergétique, l'éclairage
nocturne ne... brille pas parmi les meilleurs. « Selon
l'International Dark-Sky Association (IDSA), le tiers de
l'énergie utilisée à des fins d'éclairage externe est perdue
», souligne M. Lacasse. En fait, 30 % de la lumière d'un
lampadaire illumine carrément le ciel, alors qu'un abat-
jour et une ampoule moins forte feraient un travail plus
adéquat.
Au Québec, c'est 45 millions qu'on jette au firmament
(voir encadré). Cette évaluation, citée dans un mémoire
réalisé pour le compte de la Fédération des astronomes
en 2002, est jugée modeste. Selon M. Lacasse, il y a
deux ou trois ans, aux États-Unis, on perdait ainsi un
milliard.
Qu'on se détrompe donc, le ciel noir ne compte pas que
pour les astronomes, amateurs ou patentés. D'ailleurs,
l'UNESCO a classé en 1992 la voûte céleste au patrimoine
de l'humanité.
La nuit recule
L'astrophysicien Hubert Reeves rentre de Paris, où il
présidait il y a 10 jours le quatrième Symposium pour la
protection du ciel nocturne, organisé par l'association
française du même nom et l'IDSA. « La protection du
ciel, la diminution de la pollution lumineuse, est désirée
par des gens différents et pour des causes différentes,
affirme-t-il. D'abord, il faut redonner le ciel aux gens.
C'est une expérience humaine très forte que d'être
confronté à la nuit noire. Or, c'est quelque chose dont les
gens sont privés maintenant. Les premiers intéressés,
c'est tout le monde dans son rapport avec l'univers. » En
consultant le programme du symposium, on ne peut que
lui donner raison: la nuit recule partout.
Et « cela perturbe énormément la vie animale, on le voit
dans les migrations des oiseaux par exemple », rappelle
Hubert Reeves. Lors du symposium, la Ligue ROC, une
association française de protection de la faune, présentait
une synthèse sur ce sujet. Hubert Reeves en est le
président. En fait, le rythme circadien (l'alternance du
jour et de la nuit) influence de façon déterminante
l'horloge biologique de la faune et de la flore, et joue
également sur celle de l'homme.
C'est ce qui fait dire à Nelly Boutinot, collaboratrice
d'Hubert Reeves et vice-présidente de la Ligue, que « le
ciel est bien pâlot et c'est un signe de mauvaise santé. »
La peur du noir
Né d'abord d'un besoin de sécurité, l'éclairage nocturne a
proliféré. Les systèmes sont aisément accessibles et la
réglementation est souvent embryonnaire. Ainsi, on est
tombé dans l'excès inverse. Qu'on pense au rayonnement
blafard mais intense des stationnements de centre
commerciaux ou des marchands de voitures, par
exemple.
« Trop d'éclairage, observe Rémi Lacasse, cause des
problèmes d'éblouissement «, en auto ou à pied. « Avec
une population vieillissante, c'est un problème: l'oeil
réagit moins vite à la lumière. »
Réfléchissant tout haut, Philippe Poullaouec-Gonidec, de
la chaire en paysage de l'Université de Montréal, le
reconnaît. Mais la lumière, c'est plus que ça, note-t-il,
elle est aujourd'hui multifonctionnelle. En plus de la
sécurité, elle magnifie le patrimoine bâti et sert à créer
des ambiances. Reste qu'il faut concilier tout cela sans
polluer le ciel étoilé.
Or, tous nous l'ont à peu près dit, la culture de l'éclairage
est à peu près nulle ici. « Quelqu'un qui s'installe avec
une chaîne stéréo dans sa cour n'aura pas la même
approche que s'il posait un système d'éclairage », illustre
Rémi Lacasse. Pourtant, la lumière, comme la musique,
se rend chez les voisins.
Et ils sont parfois à 100 km: en Montérégie, celle de
Sherbrooke fait... de l'ombre à l'OMM. Celui-ci, l'Astrolab
et le Parc du Mont-Mégantic, ont entrepris une campagne
de protection du ciel noir. On espère renverser la vapeur,
expose Pierre Bastien, d'ici 2010. On discute avec les
MRC des alentours, avec la ville de Sherbrooke et on est
optimiste. « Les gens sont souvent mal informés, ils ne
veulent pas mal faire, mais ils ne savent pas ce qu'ils
font. » Comme disent les Chinois, « l'ignorance est la nuit
de l'esprit, et cette nuit n'a ni lune ni étoiles. »
Hubert Reeves se dit certes inquiet, mais constate qu'il y
a des progrès: « Je vois avec le Symposium que la
première étape, la prise de conscience, se fait et de plus
en plus. »
« Le ciel est un bout- immense- de nature inaltéré et
d'avoir le ciel en ville, ce serait aussi important que le
parc en ville, reprend Philippe Poullaouec-Gonidec. Le ciel
est aussi spectacle, ce n'est pas que des étoiles figées. »
Il pense aussi aux aurores boréales et aux nuits d'étoiles
filantes.
POLLUTION LUMINEUSE PAR AGGLOMÉRATION
Agglomération: Population - GW*h/an - M$/an
Montréal: 3 127 000 - 245 - 15
Québec: 646 000 - 80 - 5
Chicoutimi: 161 000 - 20 - 1,2
Trois-Rivières: 136 000 - 16 - 1,0
Ensemble du Québec: 7 300 000 - 760 - 45
* Gigawatt
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Source: Qui a volé les étoiles? Yvan Dutil et FAAQ.