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Une seconde de plus... de temps en temps

Voici un texte de Yvan Dutil qui explique le pourquoi de la seconde intercalaire.
Ce texte est tiré du site Science on Blogue.

Le 1er janvier 2006, il faudra retarder les montres d'une petite seconde. Très exceptionnellement, la minute entre 11h59 minutes et miniuit durera une seconde de plus que la normale, soit 61 secondes au lieu de 60. Toute horloge qui comptera l'habituelle 60 secondes pour cette minute affichera donc « 1 heure » avec une seconde d'avance, et devra être corrigée, du moins pour ceux qui ont besoin de l'heure légale à la seconde près.

Dans l'échelle de temps internationale « UTC », cette seconde supplémentaire, ou « intercalaire » comme on la désigne, interviendra le 31 décembre 2005 juste avant minuit.

L'échelle du temps universel coordonné UTC (parfois appelé à tort GMT) est la base de temps de toutes les activités dans le monde. C'est une échelle de temps ultrastable délivrée par des horloges atomiques, le Temps Atomique International, TAI. Le Temps Atomique International TAI est établi par le Bureau International des Poids et Mesures (BIPM), au Pavillon Breteuil à Sèvres, à partir d'un parc de plusieurs centaines d'horloges atomiques réparties dans le monde. Le temps des horloges atomiques repose sur le rayonnement électromagnétique lié à une modification interne aux atomes de Cesium. Ces horloges ont été développées à partir de 1955 et le TAI a remplacé la rotation de la Terre comme base du temps international à partir de 1972.

Le mouvement de la rotation terrestre est perturbé par de nombreux effets, dont les plus importants sont dus aux variations du régime des vents, à des variations de courants à l'intérieur du noyau de la Terre et à l'action de la Lune et du Soleil. Ainsi, un tour de la Terre sur elle-même en août est plus court d'une à deux millisecondes qu'un tour en février; la durée moyenne du jour terrestre en 1996 est plus longue d'une milliseconde que sa valeur en 1986 et plus courte d'une milliseconde que sa valeur en 1972. L'échelle de temps déduite de la rotation de la Terre, le temps universel (UT1) présente donc des irrégularités qui sont un million de fois plus grandes que celle du Temps Atomique International, d'où la préférence donnée à ce dernier pour assurer du temps utilisé universellement, UTC.

On a défini l'origine du TAI de telle sorte qu'il était égal à UT1 le 1er janvier 1958. En adoptant le TAI, on a décidé que l'unité de temps de l'échelle UTC serait la seconde de TAI; mais on a voulu éviter que UTC s'éloigne indéfiniment du temps de la rotation de la Terre. On a donc aussi décidé que UTC, tout en se déroulant selon la seconde TAI, serait décalé d'une seconde chaque fois que nécessaire, de façon à éviter que sa différence avec UT1 n'excède pas 0,9 seconde.

Ce décalage progressif résulte du fait que la seconde de temps TAI a été initialement calée sur la durée du jour solaire moyen de 1820, inférieur à sa valeur actuelle d'environ 2,5 ms, à cause du ralentissement séculaire de la rotation de la Terre. En fait, la seconde de temps universel n'augmente pas régulièrement. Il arrive que l'accélération décadale de la rotation de la Terre ait tendance à compenser la dérive de UT1 par rapport au TAI. C'est pourquoi l'ajout d'une seconde à UTC demeure assez aléatoire. La nature aléatoire de cette correction cause de sérieux mots de tête aux gestionnaires de réseau de télécommunication qui doivent coordonner cet ajustement de façon manuelle. Mon frère a travaillé plusieurs mois sur ce problème dans le cadre de la gestion du réseau d'Hydro-Québec. La difficulté est suffisante pour l'Union Internationale des Télécommunications (ITU) recommande la suppression de cette seconde intercalaire. Toutefois, aucune décision n'a été prise pour le moment.

Depuis l'instauration de ce système, on a dû ajouter 22 secondes à UTC. La dernière seconde additionnelle a été la vingt-deuxième. Les sauts de seconde de UTC sont programmés soit pour un 1er janvier, soit pour un 1er juillet à 0 heure. La décision d'effectuer un tel saut appartient au Bureau Central du Service International de la Rotation Terrestre (International Earth Rotation Service, IERS), dont le siège est à l'Observatoire de Paris. Cette décision est annoncée plusieurs mois à l'avance et mise en oeuvre par les autorités nationales responsables de la diffusion du temps.

La mesure permanente de la rotation de la Terre requiert l'utilisation coordonnée des techniques d'interférométrie à  trés longue base et satellitaires. L'interférométrie fournit des références primaires pour la détermination du temps universel de la précession et de la nutation. L'interférométrie mesure la différence de temps d'arrivée entre deux stations de signaux radio d'un quasar. Elle est la seule technique capable de mesurer toutes les composantes de l'orientation terrestre d'une manière journalière et exacte. Actuellement, les déterminations interférométriques de la position du pôle sont précises à +/- 6 mm!

Les techniques satellitaires permettent l'interpolation journalière et la prédiction à court terme de temps universel entre les valeurs de référence obtenues par interférométrie. Elles donnent aussi des valeurs journalières du mouvement du pôle.

Un réseau mondial de 30 stations de réception des satellites GPS est utilisé en permanence pour mesurer l'orientation de la Terre et le cadre de référence terrestre. Le mouvement des pôles est déterminé quotidiennement, avec une précision de +/- 6 mm! Les variations du temps universel sont déterminées avec une précision de +/- 60ms. Il est à noter que l'échelle de temps donnée par les satellite GPS est celle du Temps Atomique International. Elle diffère donc de 22 secondes avec le Temps Universel Coordonné, ce qui pose aussi son lot de problèmes.

Image de droite: Satellites Lageos 1
En plus du système GPS, la télémétrie laser est aussi utilisée. Cette technique est fondée sur la mesure du temps de vol d'une impulsion émise par la station terrestre renvoyée par les réflecteurs dont est muni un satellite et détecté en retour par la station émettrice. La distance entre le satellite et le site d'observation est approximativement égale à la moitié du temps de vol multiplié par la vitesse de la lumière. Les satellites les plus communément utilisés sont des satellites très denses tels que Lageos 1 (lancé en 1976) et Lageos 2 (lancé en 1992). Ces deux satellites sont à une altitude de 5900 km mais dans deux plans d'orbite différents. La télémétrie laser mise en oeuvre depuis Lageos fournit des estimations quotidienne du mouvement du pôle, avec une précision d'à peu près 9 mm.

Image de droite: Tablette Babylonienne
Fait à noter, le ralentissement séculaire de la rotation de la Terre due aux forces de marée n'est pas mesurable avec ces techniques, car les perturbations à court terme sont de beaucoup supérieures. Seule l'analyse d'observations astronomiques historiques permet d'observer directement cet effet. Pour la période depuis l'invention du télescope, c'est l'observation d'occultation lunaire qui sert de référence. Avant cette date, c'est l'observation d'éclipse de Soleil qui est la principale référence. En fouillant dans des récits astronomiques des chroniqueurs du Moyen-âge, des Arabes, des Chinois et des Babyloniens, il est possible de remonter jusqu'en l'an 700 avant notre ère.

Ces observations indiquent que le ralentissement séculaire de la rotation de la Terre n'est que de 1,7 ms/siècle, alors que l'effet dû aux marées seules devrait être de 2,3 ms/siècle. La différence peut être en grande partie expliquée par le rebond postglaciaire. Elles indiquent aussi l'existence d'une oscillation quasipériodique de 3 ms avec une période de 1500 ans. Il s'agit certainement du phénomène naturel le plus lent jamais observé directement.

Si vous trouviez que la Terre ne tourne pas rond, vous saurez maintenant pourquoi!

Texte de Yvan Dutil
Tiré du site Science on Blogue