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Mesurer la vitesse de la lumière avec son télescope

Mis à jour: 15 octobre 2000
Photo Brice O'Demory Par: Brice Olivier Demory

Peut-être vous êtes vous déjà demandé comment on pouvait parvenir à une mesure de la vitesse de la lumière. Le mouvement des planètes, par sa précision et sa prévisibilité fiable à court terme permet aux astronomes d'en obtenir une valeur approchée.

Pendant très longtemps, on pensait que la lumière se déplaçait instantanément, que sa vitesse était non mesurable car infinie. Ce fut un sujet d'opposition entre Galilée et Descartes au XVI ième siècle. Ce dernier pensait que la vitesse de la lumière était infinie. Galilée fit une expérience bien connue: Il demanda à un de ses apprentis de se placer à une distance de 3 kilomètres de lui. Le but était d'effectuer un échange de signaux lumineux selon une règle bien précise: Galilée émettrait un signal en sa direction, et son apprenti devait répondre par un autre signal dès qu'il l'apercevrait. Galilée aboutit a la seule conclusion que la lumière devait se déplacer très rapidement car à peine avait-il envoyé son signal que son assistant lui répondit.

Galilée avait l'intention de pouvoir calculer la vitesse de la lumière de cette manière, ce fut évidemment un échec. Nous savons aujourd'hui que la vitesse de la lumière est de 299792.5 km/s (+/- 0.5). Une distance de six kilomètres correspond donc a une durée de 20 millionièmes de seconde! Durant le XVII ème siècle, un astronome danois, Römer détermina pour la première fois cette fameuse vitesse. Sa méthode se base sur les connaissances de l'époque et plus particulièrement sur le mouvement des satellites galiléens. Les lois de Képler ont été déterminantes pour cette mesure. Il s'aperçut que les éclipses des satellites galiléens par Jupiter vues depuis un observateur terrestre se produisaient toujours en avance ou en retard. Römer nota un retard maximal lorsque Jupiter était en conjonction avec le Soleil et une avance maximale lorsque Jupiter était en opposition. Romer supposa alors que ce décalage était dû à une vitesse de la lumière finie. La différence de distance par rapport à Jupiter étant de 2 U.A., Römer mesurant un temps approximatif de 24 minutes, il en déduisit, après corrections que la vitesse de déplacement de la lumière devait être de 212000 km/s. Pour l'époque, ce n'était pas si mal. Plusieurs facteurs ont pu causer cette erreur: par exemple, Römer n'a peut être pas tenu compte de la variation de distance de Jupiter par rapport à la Terre durant l'intervalle de 6 mois de la mesure. De plus, le début et le déroulement de l'éclipse sont difficiles à apprécier dans les petits instruments, etc.

Le but de cet article est de vous proposer une autre méthode, plus fiable et nécessitant beaucoup moins de temps! De plus elle est accessible aux instruments modestes. Elle consiste à mesurer la différence entre deux événements:

  • Le moment de l'observation de l'éclipse de la Terre par Jupiter vu depuis Io
  • Le moment de l'observation de l'éclipse de Io par Jupiter vue depuis la Terre
L'expérience est enrichissante et met à l'épreuve votre talent d'observateur. La méthode que je vous propose est assortie de plusieurs calculs d'erreurs qui montrent que même pour un observateur débutant, l'erreur finale n'est finalement pas si importante (comparée à la méthode de Römer !). L'avantage de l'astronomie, c'est que l'on observe loin. Plus les distances seront grandes plus l'écart aveuglant et plus la mesure sera fiable! J'ai mis cette méthode au point il y a 1 an environ, je l'ai testée plusieurs fois. J'ai obtenu 264000 km/s, 258000 km/s, 288000 km/s et 301000 km/s. Je me suis fortement rapproché de la bonne valeur lorsque j'ai compris que j'avais oublié de prendre en compte un petit détail dans mon expérience (Voir plus bas). Je vais présenter cette expérience sous forme d'un protocole, ce qui vous permettra de rapidement retrouver une information.

Informations préliminaires:

Il faut tout d'abord choisir un sujet d'expérience. Les satellites galiléens de Jupiter sont intéressants. Pourquoi? Premièrement, les informations provenant du système Jovien prennent plus de 20 minutes pour nous parvenir. Deuxièmement, Jupiter les occulte très souvent (pour un observateur situé dans un référentiel géocentrique). Lequel choisir? La aussi, aucune hésitation, Io est le sujet d'expérimentation idéal! En effet, c'est le satellite galiléen dont le demi-grand axe orbital est le plus petit. Sa période de révolution est donc plus brève par rapport à ses trois frères. Pour un observateur terrestre, et en vertu des lois de la gravitation Io tourne plus vite autour de Jupiter (période de 1,8 jours environ). Les quatre plus grandes lunes de Jupiter ont un autre avantage et non des moindres, c'est que leur faible magnitude les rendent accessibles. Rappelons que la magnitude de Io est en moyenne de 5.4. En étudiant les tables d'occultation des satellites galiléens du BdL on remarque rapidement que les éclipses de Io par Jupiter ne sont pas très longues et fréquentes. Je tiens cependant à rappeler une précaution à prendre impérativement en compte qui est à l'origine d'erreurs importantes, c'est la position de Jupiter par rapport à la Terre et au Soleil. En effet, Jupiter traîne derrière elle une importante zone d'ombre. Si vous choisissez une mauvaise période pour effectuer votre expérience, l'éclipse pourra durer légèrement plus longtemps que prévu! Mais ce détail dépend de quelle façon vous voulez mener votre expérience.

Vous pouvez:

  • Calculer le début d'éclipse de Io, comparer au télescope et c'est gagné, mais vous risquez de faire plus d'erreurs que la seconde méthode. Vous pourrez faire de même pour la fin de l'éclipse (phase d'émersion).
  • Calculer l'heure de début d'occultation de Io, l'heure de disparition totale du disque, l'heure de début de réapparition, l'heure de fin de réapparition. Vous avez 4 mesures à effectuer, ce qui rend l'expérience plus fiable car vous pourrez effectuer des recoupements. Mais cette dernière méthode est uniquement accessibles aux gros diamètres.

Je vais décrire dans cet article la première méthode. La durée d'une éclipse d'un satellite galiléen est variable. Vous pouvez obtenir ces heures à partir des éphémérides du Bureau des Longitudes ou à partir d'un logiciel d'astronomie (SkyMap, Starry-Night, RedShift). L'avantage du logiciel, c'est qu'il permet la correction de la parallaxe horizontale que vous obtiendrez si vous n'observez pas depuis le centre du référentiel géocentrique, ce qui est bien entendu impossible ! (dépend donc de votre latitude - voir alignement).

Méthode:

Figure 1 Il vous faut d'abord préparer votre observation. Sachez étudier les tables des éphémérides du BdL ou les données fournies par votre logiciel. Il vous faut choisir une éclipse dont vous connaissez tous les paramètres (début, fin...). Autre source d'erreur que j'ai déjà évoquée: Le fait que le disque de Jupiter, tel que nous le voyons n'est pas toujours complètement circulaire. Il faut donc choisir préférentiellement une période où Jupiter soit en opposition avec le Soleil. Dans cette configuration, on est sûr que Jupiter présente bien une apparence circulaire. Sur la figure 1 ci-contre, on observe bien que la configuration de Jupiter, la Terre et le Soleil est extrêmement importante. Reportez vous aux éphémérides pour connaître ces périodes. Par exemple, sur ce schéma, on remarque que Io disparaît pour nous en A, et réapparaîtra en C! Normalement l'heure de début serait t(B) et l'heure de fin t(C).

Figure 3 Vous avez trouvé la période idéale, la turbulence atmosphérique n'est pas trop forte, pointez Jupiter... Quelques minutes avant l'éclipse vous devriez observer quelque chose comme cela:

Si vous n'avez pas bien choisi le moment de votre expérience, vous vous apercevrez que Io aura disparu alors qu'il vous semblera encore a quelque distance de Jupiter... Vous pourrez avoir cumulé plusieurs minutes d'erreur, ce qui est ennuyeux pour une mesure de cette précision! Par exemple:

Figure 2 Ca y est, vous voyez Io disparaître... Notez l'heure à la seconde près (pensez à étalonner votre montre avec l'horloge parlante)! Vous pouvez maintenant patienter quelques temps. Allez vous chercher un café et revenez quelques minutes avant l'émersion. Vous voyez enfin Io émerger. Notez l'heure. Maintenant il va falloir faire une estimation d'erreur. En effet, le phénomène de disparition ou d'apparition du satellite a vos yeux n'est pas instantané. Il est donc difficile de savoir exactement quand noter l'heure de la mesure! Estimez maintenant l'intervalle d'erreur que vous avez pu commettre durant ces deux phases critiques... Vous pourrez alors faire vos calculs pour les valeurs extrêmes de votre intervalle, et votre mesure réelle puis faire une moyenne. Vous connaissez la distance exacte Terre-Io (voir programme d'astronomie), l'heure à laquelle on verrait disparaître la Terre depuis Io (là aussi, programme d'astronomie, attention, pas tous les logiciels vous fournissent ce type de donnée). La différence de temps entre l'heure de votre mesure et cette dernière donnée correspond au temps mis par la lumière pour nous parvenir! Avec les deux mesures (début/fin de l'éclipse), vous avez encore la possibilité de rendre le résultat «plus fiable».

Brice-Olivier Demory


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